Take me somewhere nice d'Ena Sendijarević, 2019

Pays-Bas, Bosnie-Herzégovine - 2019 - 91 min

Synopsis : Alma voyage depuis les Pays-Bas jusqu'à la Bosnie pour rendre visite à son père qu'elle n'a jamais rencontré. Accompagnée de son cousin et d’un ami, elle s’embarque dans un road-trip imprévisible au cœur du pays.

Ena Sendijarević, née en 1987 en Bosnie-Herzégovine, est une réalisatrice et scénariste bosnienne, résidant et travaillant à Amsterdam.

Bande annonce du film 

Bande annonce du film en VF

Prix du jury au Festival de Séville en 2021 dont voici la déclaration :

Ena Sendijarevic confronte le spectateur non seulement à ses propres clichés de la Bosnie, mais aussi à la vie quotidienne de l’Europe de l’Est. La jeunesse bosniaque est déchirée entre son amour pour son patrimoine culturel et son désir de faire partie de l’Europe et de son progrès. Ce ressenti est intégré dans la forte personnage d’Alma. C’est un road movie minimaliste – « coming of age » s’oppose à une singularité séduisante capturée par des angles de caméra décentrés et des images très colorés. Le film ne formule pas une déclaration claire. Il demande au spectateur de trouver sa propre interprétation. Et de cette manière, il devient un conte européen significatif.

Biographie de la réalisatrice sur le site de l'Acid :

Ena Sendijarević (née en 1987) est une réalisatrice hollandaise d'origine bosnienne. Après des études de cinéma à l'Université d'Amsterdam puis à la Freie Universität de Berlin, elle obtient son diplôme de la Netherlands Film Academy en 2014. Ena Sendijarević s'est faite remarquer par plusieurs court-métrages (TRAVELERS INTO THE NIGHT en 2013, FERNWEH en 2014 et IMPORT en 2016) qui ont voyagé et remporté de nombreux prix dans des festivals à travers le monde dont la Quinzaine des réalisateurs et le Festival de Toronto. Son dernier court-métrage a représenté les Pays-Bas aux Oscars 2017. Ena a aussi été jury pour plusieurs festivals.

TAKE ME SOMEWHERE NICE (2018) est son premier long-métrage.

 

 Extraits d'un entretien de la réalisatrice sur le site cineuropa, 2019 :

"On peut devenir qui on veut à partir du moment où on se rend compte qu'on peut construire sa propre réalité"

"J’espère qu’en présentant ces personnages comme des anti-héros à la fois drôles et charmants, et non comme des victimes accablées, le film va apporter une énergie nouvelle qui engagera les gens à utiliser leur imagination pour s’exprimer et proposer leur propre interprétation de la réalité.

Avez-vous découvert où cet “endroit agréable” se trouve ?
Pas encore, mais je ne m’arrêterai pas de chercher. Je suppose qu'il fait bon vivre partout quand on est amoureux, mais malheureusement je ne le suis pas. 


L'actrice Sara Luna Zoric est une actrice néerlandaise qui joue le rôle d'Alma

Extrait d'un entretien avec la réalisatrice paru sur le site Le Polyester, le 13 juillet 2021

Qu’elle fasse la gueule, qu’elle soit complètement perdue ou qu’elle tombe amoureuse, l’actrice principale Sara Luna exprime parfaitement l’équilibre du film entre l’humour et la mélancolie. Comment l’avez-vous dirigée?

Nous avons trouvé Sara sur Facebook, où nous avons fait un appel à casting. Quand je l’ai rencontrée, j’ai été immédiatement hypnotisé par la belle mélancolie dans ses yeux, combinée avec une présence d’une intensité électrisante. Elle peut également être très drôle, nous partageons un amour pour l’humour noir, peut-être à cause de nos racines des Balkans. Je suis très heureuse que nous l’ayons trouvée et je ne peux pas imaginer le film sans elle.

Dans un monde où nous sommes devenus accro à la validation, où les likes et les smileys sont partout, j’ai eu une pensée nostalgique pour les gens qui ne sourient pas, qui ne se soucient pas d’être aimé. C’est ce que j’avais à l’esprit pour mes personnages, et c’est dans ce sens que j’ai dirigé Sara. Au début, elle avait peur que les gens n’aiment pas Alma, mais elle a compris qu’Alma était étrange et donc humaine, et peut-être même à quel point il pouvait être libérateur d’être elle.

Par ailleurs, en ce qui concerne l’interprétation de mes acteurs, je voulais obtenir un détachement brechtien. J’ai utilisé la méthode que Bresson appelait « utiliser les acteurs comme des mannequins ». Puisque c’est la caméra qui transmet les émotions, il n’est pas nécessaire de la montrer à nouveau sur les visages des comédiens, c’est pour cela qu’ils ont l’air si stoïques.

 

  Travelers into the night, 2013, 9mn45

Synopsis :
Une femme travaille de nuit dans une station-service. Des gens qu'elle ne connaît pas font escale dans son monde, puis la laissent à nouveau seule dans sa bulle. Une nuit, un étrange client va bouleverser ses habitudes. 

 

  Import, 2016, 17mn

A voir aussi sur : https://www.formatcourt.com/2019/03/le-film-de-la-semaine-import-de-ena-sendijarevic/

Synopsis : En 1994, une jeune famille de réfugiés bosniaques se retrouve dans un petit village des Pays-Bas après l’obtention de leur permis de séjour. Les situations absurdes surviennent alors qu’ils essaient de faire de ce nouveau monde leur maison.

 


Le film sera présenté aux élèves de CAV le jeudi 21 octobre 2021 de 17h à 18h par la cinéaste Laure Vermeersch

Laure Vermeersch a collaboré avec Eric Baudelaire à la conception, l’écriture ou le montage de plusieurs projets : Letters to Max, 2014, The Ugly One, 2013, L'Anabase de May et Fusako Shigenobu, Masao Adachi et 27 ans sans images, 2011, et avec Sean McAllister (cinéaste de la BBC/Channel 4, nombreux prix). Elle a étudié à la National Film and Television School (NFTS) en Grande Bretagne en 2007. Elle fait partie du comité de rédaction de la revue Vacarme où elle publie aussi des textes en relation avec l'image documentaire. Jusqu’en 2012 et après quelques années de conseil en organisation à Paris et Londres, Laure a conçu et dirigé le développement de programmes multimédia graphiques et pédagogiques (simulations, contenus et interfaces de formation) pour un groupe international, puis une agence anglaise.

 


Elle a réalisé le film documentaire Alcyon, 95mn, 2015

Ce sont les jours d'Alcyon. Le temps s'adoucit fin janvier en Grèce, les dieux, dit le mythe, protège ainsi la couvée des Alcyons. C'est aussi la semaine des élections qui doit enfin permettre à Syriza d'accéder au gouvernement. La structure de solidarité locale du quartier de Phylé dans les marges d'Athènes organise une cérémonie de mariage entre un Pakistanais et une Grecque.

Elle tourne Athenian Material sur l’exclu et le commun produit par Les films d’Ici.

 

Un autre éclairage sur le film : le voyage initiatique de Dorothy dans Le Magicien d'Oz de Victor Fleming, 1939

Judy Garland (1922-1969) a 17 ans quand elle joue le rôle de Dorothy

 

Le Magicien d’Oz est dès le titre du film un voyage dans un pays qui ne figure dans aucun atlas de géographie et où règne un magicien.

En 1939, à l’aube de la guerre où un certain Hitler lorgne en Europe tous les territoires qu’il peut envahir, c’est déjà un dépaysement qui promet aux spectateurs  de s’échapper de leur quotidien et de ramener un peu d’insouciance dans la crise économique mondiale qui frappe les plus modestes, y compris aux États-Unis.

Rappelons-nous qu’en 1939, les États-Unis viennent de traverser une grande dépression économique qui s’étale du krach boursier de 1929 jusqu’à la seconde guerre mondiale. Pensez aux images que le réalisateur John Ford fera un an plus tard en 1940 avec son film Les raisins de la colère ou aux portraits photographiques de  l’artiste Dorothea Lange qui montre aux États-Unis la misère des sans-abri qui ont tout perdu durant la crise avec ces fermiers perdus sur les routes voyageant en quête de travail.

 

Dorothea Lange, Travailleurs migrants sur une route de Californie, 1935

 

                                Dorothea Lange, Mère migrante, 1936

 

Dorothea Lange, Famille d'ouvriers agricoles, sept enfants affamés, 1936

 

Cette comédie musicale magique et dépaysante a donc d’emblée de quoi séduire le public américain.

 

Le Magicien d’Oz c’est d’abord un best-seller de la littérature enfantine très populaire aux États-Unis écrit par Baum en 1900.

Quelle en est l’histoire ?

Dorothy, une jeune fille qui vit dans une ferme du Kansas va faire un voyage au pays d’Oz. Durant ce voyage rempli d’embûches, elle sera accompagnée d’un épouvantail sans cervelle, d’un lion peureux et d’un bûcheron en fer blanc sans cœur. Ensemble, ils vont devoir se surpasser pour atteindre le palais du magicien d’Oz où leur quête initiatique révèlera tout son sens.

 

Ce film est un voyage pour aller de l’enfance vers l’âge adulte mais aussi une admirable métaphore sur le cinéma.  Je vous invite à admirer cette fenêtre devenue écran de cinéma dans la chambre de Dorothy et ce tout premier plan du film avec Dorothy qui entre dans le champ par le bord inférieur du cadre et se retourne non pas vers son chien Toto mais vers nous spectateurs pour nous mener sur la route d’abord poussiéreuse du Kansas puis sur la route de briques jaunes. Cette route bien métaphorique qui nous permet de quitter la salle de cinéma et de rentrer dans la profondeur des images d’un pays où le rêve du cinéma a remplacé la réalité.  

 

Comment est né ce film ?

Le projet est  dans les cartons des studios hollywoodiens de la Metro Goldwyn Mayer depuis 1924 mais il va falloir attendre 1934 pour que les droits d’adaptation du livre soient accordés  et que le projet soit confié au producteur Mervyn LeRoy. C’est le succès de Blanche Neige et les sept nains, premier long métrage de Walt Disney en 1937 qui accélère la mise en œuvre du film. 

 

Mervyn LeRoy a 38 ans quand il produit ce film et il va lui falloir bien du talent pour mener à bien cette aventure qui va voir défiler pas moins de 4 réalisateurs et 14 scénaristes (3 seulement crédités au générique).

 

Qui sont ces 4 réalisateurs ?

Richard Thorpe le réalisateur d’Ivanhoé ne tourne que 10 jours et rien n’est gardé.

Richard Cukor (qui réalisera en 1964 la fameuse comédie musicale My Fair Lady) va impulser la direction générale du film. Il redonnera notamment au personnage de Dorothy son caractère enfantin en supprimant un maquillage trop prononcé.

Victor Fleming  lui succède et réalise la plus grande partie du film.

Dans les faits, Fleming et Cukor se croisent entre 2 films tournés cette même année 1939 par la MGM : Le Magicien d’Oz et Autant en emporte le vent qui remportera cette année-là l’oscar du meilleur film aux États-Unis.

Le quatrième réalisateur est King Vidor qui réalise les scènes au Kansas.

 

Si c’est Fleming qui reste pour la postérité le réalisateur du film, il a donc été soutenu par d’autres réalisateurs.

 

Ce film est une œuvre d’art totale qui réunit acteurs, décorateurs (150 peintres), le célèbre costumier d’Hollywood Adrian qui va réaliser 4000 costumes pour ce film, des musiciens et les meilleurs techniciens. Le film est entièrement tourné en studio, excepté le générique du début  sur fond de nuage tourné en extérieur.

 

Qui sont donc ces magiciens eux aussi du cinéma qui vont contribuer à la réussite du film ? 

Commençons  par l’actrice Judy Garland embauchée par la MGM à 13ans. Le rôle principal de Dorothy devait aller à la vedette du moment qui était Shirley Temple mais la Century Fox ne voulant pas s’en séparer, il fallut à la MGM trouver une autre actrice.

Ce fut Judy Garland qui illumine le film par sa grâce juvénile. L’American Film Institute classe Judy Garland comme la huitième meilleure actrice de légende du cinéma et nul doute que ce film reste l’une d’une de ses plus grandes réussites. Sa prestation pour ce film sera récompensée par l’oscar de la meilleure des jeunes actrices de l’année.

 

Le livret de la musique du film est adapté par le britannique Andrew Lloyd Weber qui réalise avec le Magicien d’Oz sa dix-huitième comédie musicale.

 

La chanson Over the rainbow  fut écrite en une nuit par Yip Harburg et sera reprise par les plus grands chanteurs comme Frank Sinatra. Elle obtiendra en 1940 l’oscar de la meilleure chanson originale.  En voici quelques paroles traduites :

 

Quelque part au-delà de l'arc-en-ciel, tout là-haut
Est une contrée que j'ai connue jadis, par une berceuse
Quelque part au-delà de cet arc-en-ciel, les cieux sont bleus
Et les rêves qu'on ose faire deviennent bel et bien réalité


La comédie musicale est un genre qui dans les années 30 est en pleine vitalité. En 1935, Fred Astair et Ginger Rogers  avec le film Le Danseur du dessus apparaissent  déjà comme un couple mythique de ce genre cinématographique.

 

Un autre élément est remarquable dans ce film : c’est le technicolor, nouvelle technologie qui en est encore à ses débuts.

 

Pour rappel, le premier film Becky Sharp de prises de vues réelles tourné en couleurs avec le procédé du technicolor date de 1935.

 

Le procédé est complexe. Une caméra énorme impressionne 3 pellicules (rouge, vert, bleu) en même temps. Ces 3 pellicules sont ensuite superposées au tirage. Ce procédé nécessite beaucoup de lumière d’où cette chaleur qui a rendu le tournage du film si étouffant.

 

La couleur ne cherche pas à être réaliste mais doit apporter du rêve.

 

Vous apprécierez notamment la montée en puissance de la couleur verte dans le film. Associée aux êtres inquiétants et souvent malfaisants, elle finit en apothéose dans le palais d’émeraude du magicien pour évoquer l’apaisement et l’aboutissement de la quête. Je ne peux pas m’empêcher de vous lire la description que le peintre abstrait Kandinsky fait de la couleur verte, texte cité par l’historien Michel Pastoureau dans son livre Vert, histoire d’une couleur :

 

 «  Le vert absolu est la couleur la plus anesthésiante qui soit. Elle ne se meut dans aucune direction et n’a aucune consonance de joie, de tristesse ou de passion ; elle ne réclame rien. Cette absence permanente de mouvement est certes une qualité bienfaisante pour des âmes et des hommes fatigués, mais devient, après un certain temps de repos très fastidieuse (…). La passivité est la propriété caractéristique du vert pur, propriété se parfumant cependant d’une certaine onction, de contentement de soi. C’est pourquoi, dans le domaine des couleurs, le vert correspond à ce que représente, dans la société des hommes, la bourgeoisie : c’est un élément immobile, satisfait de lui-même, limité dans toutes les directions. Ce vert est semblable à une grosse vache, pleine de santé, couchée, figée, capable seulement de ruminer en contemplant le monde de ses yeux stupides et inexpressifs. »

 

Pastoureau rajoute :

 

Comparer le vert à une grosse vache, il fallait oser ! Kandinsky l’a fait et dans ce texte étonnant apparait comme un des plus grands ennemis que la couleur verte ait jamais rencontrés au cours de sa longue histoire.

 

 

Il est amusant de constater que cette présence du vert dans le Magicien d’Oz correspond bien sûr à la méchante sorcière de l’ouest  mais est reprise aussi au moment où les personnages ont atteint la fin de leur voyage initiatique comme si on voulait immobiliser les personnages tel que l’évoque Kandinsky.

 

Car il est inutile de partir loin et ailleurs. Chacun recherche quelque chose qu’il possède déjà en lui. C’est le message du film. A partir de là, Dorothy peut revenir parmi les siens, par choix, en adulte. 

 

 

Un autre élément remarquable du film est l’ingéniosité des décorateurs. Juste un élément. Le décorateur Arnold Gillepsie pour la tornade fait construire une sorte d’entonnoir en mousseline de 9 mètres avançant vers la caméra avec un nuage de poussière qui donne l’illusion d’une tornade se dirigeant vers la maison.

 

 

Pour conclure, je me demandais quel pourrait être dans le cinéma récent l’équivalent de ce film au cinéma. J’ai pensé au Voyage de Chihiro de Hayao Miyazaki qui date de 2002 que les lycéens verront cette année dans le cadre du dispositif Lycéens au cinéma. Leur point commun c’est cet univers merveilleux de créatures enchantées et cette quête initiatique d’une petite fille qui doit surmonter sa peur pour retrouver les siens.

 

Le compagnon Haku dit dans le film à la petite fille Chihiro :

 

«  Ceux qui se sont fait voler leur nom ne retrouvent jamais leur chemin. »

 

La fée dit la même chose à Dorothy, ce qu’elle désire ne se trouve nulle part ailleurs qu’en soi.

 

Un autre film tellement différent m’a fait penser au Magicien d’Oz et tant pis si je me trompe, j’ose le rapprochement.

 

C’est le documentaire actuellement en salles Pour Sama où une journaliste syrienne s’empare d’une caméra pour filmer le blocus d’Alep. Ce film dédiée à sa fille que l’on voir grandir dans le film montre que le cinéma est un moyen d’affronter ses peurs - de petite fille comme celles de Dorothy dans Le Magicien d’Oz ou tellement plus réelles et terribles comme celles de ces hommes et femmes syriens en guerre avec ce film témoignage que la réalisatrice Waad al-Kateab destine pour plus tard à sa fille quand elle sera grande.

 

Le cinéma est un chemin qui nous permet d’affronter nos peurs et un art qui redonne des couleurs à nos rêves.

Le sépia du début du film laisse vite sa place au bleu de la robe de Dorothy, au rose de la fée, au jaune des briques de la route, au rouge des nuages de fumée des sorcières et au vert du palais d’Émeraude.

 

Dans le film Pour Sama on assiste à une scène touchante où les enfants du quartier repeignent de toutes les couleurs un bus bombardé qui ne peut plus rouler.

 

Le cinéma est un art où chaque geste a un sens même celui de filmer des couleurs pour dire l’optimisme et la force d’évasion du rêve. Voilà ce que nous dit le Magicien d’OZ et d’autres films encore aujourd’hui.

 

Texte de Laure Weil lu lors de la projection du film du Magicien d'Oz au Festival Cannes 39 à Orléans en 2019

 

 

 

 

 

 

 

 
 


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